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Cherche blanc à marier (reportage): lettre ouverte à Philippe Mach, Isabelle Ducret, Temps présent et la RTS


NDLR:

Un texte tiré de Facebook que nous avons jugé opportun de publier avec l'autorisation de l'auteure qui a souhaité rester anonyme.

 

Je réagis ici suite à la diffusion de l’émission Temps Présent « cherche blanc à marier » diffusée hier soir 30 mai sur la RTS.

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Je m’adresse à Philippe Mach, Isabelle Ducret et toute l’équipe de tournage, aux producteurs de Temps Présent et à la RTS.

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J’ai grandi avec Temps Présent, à l’époque ou Claude Torracinta lui a donné ses lettres de noblesse, à l’époque où éthique et déontologie signifiaient quelque chose.
Le reportage présenté, sous prétexte de dénoncer des pratiques douteuses, manque totalement d’éthique.
Je m’interroge sur les intentions des réalisateurs : pourquoi faire un reportage racoleur en grossissant durant 1 heure un phénomène que vous-mêmes qualifiez de marginal et minoritaire ? est-il suffisant de dire à la fin que la grande majorité des mariages entre suisses et étrangers sont corrects une fois que vous avez martelé des clichés réducteurs et avez utilisé des procédés de communication pour le moins douteux ?

Je m’interroge sur la date de diffusion de ce reportage, à 10 jours d’une votation fédérale sur la révision de la loi sur l’asile.

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Je fais partie des milliers et des milliers d’habitants de la Suisse qui travaillent à titre personnel et professionnel à faire de notre pays un endroit où il fait bon vivre ensemble, puisqu’ensemble nous le sommes, qu’on le veuille ou non. Ce reportage est un coup de pied sur cet édifice fragile sous un prétexte hypocrite de révéler une vérité, et cela me fâche plus que je ne saurais le dire.

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Vous vous êtes concentrés sur des faits anecdotiques sans jamais chercher à montrer la réalité dans son ensemble, sans jamais un soupçon de recul ou d’analyse.

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Vous avez stigmatisé un pays, alors que nous savons que le rêve de venir en Occident à tout prix existe dans tous les pays pauvres de cette planète.

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Je ne vais pas entrer dans une analyse géopolitique, mais l’Occident y compris la Suisse a joué et joue un rôle non négligeable dans la construction du déséquilibre économique mondial qui est la cause ces migrations désirées. Arrêtons de jouer les sainte-nitouche.

Vous avez par votre présence et vos questions orienté les réponses dans le sens que vous souhaitiez.

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Parlons du quartier Manguier à Yaoundé. « Aucun blanc ne peut y entrer ». Est-ce que vous n’y étiez pas ? moi-même je vais à Manguier, Kondengi et ailleurs. Les blancs y vont s’ils ont quelque chose à y faire. Sinon qu’iraient-ils faire dans ces quartiers déshérités ? du voyeurisme ? ce ne sont pas des zoos. Il n'est pas marqué "interdit aux blancs à l'entrée".

A Manguier, vous avez filmé et interviewé des enfants. Aviez-vous l’autorisation de leurs parents ? Serait-ce que leur pauvreté les prive du soin que nous mettons ici à protéger l’image de nos enfants ?

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Vous n’avez posé aucun regard simplement neutre sur ces enfants, vous les faites passer pour des cyniques matérialistes. Au fait combien de temps avez-vous passé auprès d’eux pour chercher à comprendre ce qu’ils vivent ? Pire, vous instrumentalisez des propos d'ENFANTS pour alimenter votre manipulation.

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Vous avez montré les propos du jeune homme qui vous disait « on tue ton mari et on se marie ». Vous savez très bien qu’il plaisantait, les gens riaient autour de lui.  Pourquoi garder ses propos dans le reportage ? pour faire croire que c’est la réalité ? pour faire passer la population de Manguier pour des criminels de naissance ?

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Ce jeune homme vous a dit ce que vous vouliez entendre. Votre présence, vos questions,votre caméra étaient des provocations. Vous savez très bien que l'observateur modifie le sujet observé. Dans ce pays, si on traite quelqu’un de voleur, il ne va pas se justifier comme on le ferait en Suisse, il va vous répondre « toi-même tu vois comme je te vole». C’est une façon de parler et de réagir du Cameroun, mais êtes-vous restés assez longtemps là-bas pour le comprendre le style de langage ?

Avec cette méthode, on peut faire dire n’importe quoi aux images et propos des gens. On peut filmer un arbre mort et dire que c'est la forêt. L'arbre existe, mais est-ce toute la vérité ? Est-ce éthiquement correct ?

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Vous êtes restés assez longtemps au Cameroun pour commettre le délit de corrompre un fonctionnaire pour les besoins de votre travail. Donc pour votre travail, vous commettez des faux papiers, et pour ce que certains pensent être leur survie vous faites un prime time accusateur ?
Vous vous êtes permis de traiter négligemment cet Etat de dictature, est-ce à vous de le faire ? dans ce contexte ? que savez-vous vraiment du Cameroun ?  c'est la seule mention au contexte, dans un but évident de discrédit supplémentaire de ce pays et de ce peuple. Vous avez une fois de plus isolé et instrumentalisé. Vous êtes très forts, au point que des Camerounais baissent la tête en ne voyant pas votre jeu, en disant "après tout, c'est la vérité, pourquoi s'en offusquer ?".

Vous vous êtes permis pour les besoins de votre travail de corrompre un fonctionnaire camerounais pour prouver que c'est possible. Vous avez de ce fait surtout prouvé que des journalistes Suisses sont capables de tout pour arriver à leurs fins, et jeté le discrédit sur votre profession. Vous avez triché pour faire de l'audience en condamnant ceux qui trichent pour essayer de s'en sortir. Blanc bonnet et bonnet blanc.

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Vous y êtes allés avec vos clichés réducteurs, donnant du blé à moudre à tous les xénophobes et racistes de Suisse, sans aucun état d’âme, au non de quoi ? la vérité ? quelle vérité quand on cible une chose au mépris de tout contexte, sans montrer le reste, à savoir les couples suisse-camerounais qui vont bien ? ce sont tous ces couples que vous stigmatisez sans nuance par votre reportage. Ce sont tous les Camerounais et Africains vivant sans histoire en Suisse que vous traitez en pointillé de tricheurs. J'appelle ça de l'incitation sournoise à la haine raciale.

Vous nous avez montré un mariage au Cameroun. Du fait de votre présence, la mariée s’est crue obligée de se justifier « je ne l’ai pas cherché sur internet ». Voilà le sort des couples mixtes ici en Suisse, à cause de reportages comme le vôtre : se justifier de tous les côtés. L’ODM ne nous présume pas innocents mais coupables, et c’est à nous de prouver notre innocence, c’est un comble.

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Vous n’avez montré du film « le Blanc d’Eyanga » que les scènes les plus racoleuses encore une fois. Vous avez encouragé les femmes au cybercafé à surenchérir, sans aucun respect pour elle. Vous ne leur avez jamais demandé ce que cela leur faisait, pourquoi elles en étaient arrivées là.

Pour le maire qui vous a laissé filmer la salle d’archives en cours d’installation, j’ose espérer que vous ne l’avez pas convaincu avec un billet. En tout cas vous ne vous êtes pas privés de montrer et remontrer cette salle comme une preuve de l’incurie de l’administration camerounaise. On ne saura pas s’il y avait une autre mairie mieux installée, je ne sais pas si vous avez cherché.

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Pourquoi n’avez-vous pas interviewé à Genève ou ailleurs en Suisse des étudiants ou intellectuels camerounais qui auraient pu donner leur éclairage sur les faits dénoncés ?
Le récit de la jeune fille Suisse mariée de force me laisse perplexe tant il est peu crédible et conforme à ce qui peut se passer. Ce mariage forcé était inutile vu qu'elle pouvait l'invalider dés qu'ils l'ont "relâchée". De plus on ne se marie pas comme ça en quelques jours sans les papiers nécessaires, même au Cameroun. Quand le mariage a lieu dans ce pays, il faut encore de sérieux efforts de la part du conjoint Suisse pour le faire reconnaître devant les autorités helvétiques et obtenir un permis de séjour pour son conjoint. Le Camerounais qui l'aurait séquestrée était donc stupide, ce qui est assez rare de la part de présumés racketteurs. Cette jeune fille a ensuite confirmé sa naïveté qui confine à l'inconscience en ne faisant pas annuler son mariage.
Bref, j’attends un jour un vrai documentaire sur les Africains de Suisse pour montrer que l’écrasante majorité vit en conformité avec nos lois. Que la RTS cesse de présenter cette équation Africains= problèmes.
Sous couvert de mise en garde, vous avez bétonné le doute sur les mariages mixtes, vous avez bétonné la croyance populaire déjà trop répandue que les Africains sont des tricheurs. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte dans votre forteresse de verre, le monde n’est pas HeidiLand, et la Suisse ne lave pas plus blanc, elle n’a pas les mains plus propres que le reste du monde.
Vous êtes des professionnels de la communication, vous savez très bien qu'on peut aligner et monter des images avec des bribes de vérité pour au final déformer cette vérité et faire de la propagande nauséabonde.

Vous avez utilisé toutes les personnes filmées pour faire passer votre message. Vous avez laissé derrière vous le discrédit, la discorde entre Camerounais, voire la haine raciale d'un côté comme de l'autre.

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Je n'interviens pas dans cette histoire pour défendre les Camerounais qui se défendront bien eux-mêmes, mais pour défendre l'éthique, pour défendre mon travail au quotidien, pour démonter vos manipulations grossières bien que certainement efficaces, pour dévoiler la perfidie de votre reportage.

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Savez-vous maintenant le temps qu'il faudra pour expliquer aux enfants et à leurs parents qu'une partie de la vérité n'est pas toute la vérité ? que les vérités partielles font les mêmes ravages que les mensonges ?

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Avez-vous pensé aux enfants nés de ces couples mixtes, qui supporteront peut-être la honte, ou le rejet d'une moitié de leurs racines ?

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Vous avez une audience, vous représentez une télévision d'Etat. Le racisme ordinaire est un phénomène humain. Je vis au carrefour de deux communautés, de deux cultures, je fais face dans mon quotidien aux propos racistes des deux côtés, blanc contre noir, noir contre blanc, ça fait partie du jeu, du contrat de mariage que j'ai signé il y a 7 ans. Mais le racisme institutionnel que vous véhiculez est inadmissible. Le racisme institutionnel organise, valide, légitime, alimente le racisme personnel. Vous avez une grande responsabilité, il aurait été bon d'y penser avant.

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Parler de l'autre, sur l'autre est une opération délicate, vous n'avez manifestement pas la subtilité pour le faire, ou alors c'est que vraiment vous aviez une intention propagandiste.

Le Cameroun et d'autres pays si différents du nôtre ne doivent pas être abordés dans la naïveté insouciante. On ne se lance pas à l'assaut d'un 8'000 mètres sans guide ni préparation ni accepter que ce sera difficile. C'est la même chose pour un pays totalement étranger, dans son vécu, son mode de fonctionnement, sa communication. Etranger ne veut pas dire moins bien. Avant de juger, il faut connaître, cela prend beaucoup de temps, que vous n'avez manifestement pas, et vous ne vous êtes pas donné la peine de faire appel à des guides qui auraient pu vous aider à décoder. Allez revoir votre copie.

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J'ai une ambition plus élevée pour mon pays, pour sa presse, pour sa télévision nationale, et je souhaite vivement que les vrais journalistes intègres et indépendants, s'il en existe ici, se manifestent pour se désolidariser de votre travail.

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Enfin sachez que vous avez semé la haine, fouetté les extrémistes de tous bords. Si ce reportage devait être suivi d'actes malheureux en guise de représailles, je vous en tiendrai pour responsables par votre légèreté et votre inconscience dangereuses.

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NDLR:

Auteur: Une suisse d'origine et camerounaise par alliance






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