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L'apologie de la frime dans la sape

Culture(s) : Congo (RDC)


Cette semaine nous vous permettons une véritable immersion dans la sapologie et particulièrement dans la sape en RDC. 

Vieux de 50 ans, ce phénomène est particulier à l'Afrique Noire. Il se mêle à la sensibilité africaine pour l'esthétisme, mais aussi aux démons issus d'un complexe d'infériorité ayant sa genèse aux temps de la colonisation. La sapologie comme le décapage de la peau, sont des maux analogues, puisqu'il s'agit de "singer le Blanc". Le sapeur se sent important car il porte des costumes extravagants et couteux d'origine occidentale, le décapé en se blanchissant, il pense ainsi mieux correspondre au canon de beauté occidental. 

 

L'apologie de la frime?

Au-delà des motivations purement esthétiques de part et d’autre, il existe un enjeu identitaire bien plus profond. Il prend racine dans l'histoire entre les Blancs et les Noirs, et de l'idée que ces derniers se font du modèle humain idéal  pour réussir. La peau blanche serait un sésame pour une vie de réussite, comme le costume façonné par un créateur au patronyme à consonance occidentale serait le certificat d'un statut social supérieur.

 Explosion de SAPE

Ces deux phénomènes aux frontières des pathologies modernes, dans leur apologie de la frime se perdent dans les valeurs esthétiques occidentales au détriment de l’authenticité africaine, et parfois de l’intégrité. Jusqu'où iront ces fashionistas schizophrènes en mal de reconnaissance?

 

La Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes, ou Société Africaine de Personnes Élegantes (SAPE), est une mode vestimentaire populaire née après les Indépendances du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa, dans les années 1960. Mais on raconte que l'inventeur du mot « SAPE », ce dandysme à l'africaine, serait le congolais Christian Loubaki dit enfant Mystère, homme à tout faire travaillant chez des aristocrates français dans le quartier huppé du seizième arrondissement à Paris, qui aurait observé ses patrons s'habiller et profité des vieux vêtements qu'ils lui offraient. Le mot serait parti d'une interprétation inconsciente ou incomprise, de sa part. En 1975, employé par son patron pour essayer les tenues et mieux les apprécier, ce dernier lui aurait dit : "tel que tu t'es habillé tu vas saper le moral de tes amis". Or Monsieur Christian Loubaki ne savait ni lire ni écrire, et, lors de son premier retour au pays, pour ses vacances, afin de se démarquer des autres vacanciers revenus de France, ce dernier leur disait qu'il était mieux « sapé ». Dans l'inconscience collective on a adopté le mot SAPE sans se poser la question si le vocable SAPE était approprié ou non à la définition que monsieur Christian Loubaki se faisait du dandysme. En 1978, avec la complicité de Koffino Massamba, Christian Loubaki crée la première boutique : La Saperie à Bacongo (le quartier par excellence de la sape au Congo).

Si l’origine de la SAPE propose un nouveau récit selon le Sapeur qui la raconte, on observe pourtant un état de tension où celui qui est asservi s’émancipe de sa condition en empruntant les attributs du «maître». D’ailleurs, une certaine arrogance du sapeur est associée au statut du colon. Dans tous les cas, le Sapeur semble celui qui revêt le costume de celui qui domine.

Le blanchissement de la peau, un drame africain

Dans les années 1970, les pionniers de la Sape – premiers migrants africains à Paris – diffusent les prémisses de leur art aux deux Congo.

« Rentrés au pays » pour les vacances, ces hommes ramènent de Paris une « allure » qui masque pour certains les déceptions de l’immigration. Dans les années 1980, le concept de SAPE s’affirme comme mouvement culturel et esthétique d’une certaine diaspora dans les métropoles européennes et aux deux Congo. On ouvre des boutiques de « saperie » dans le quartier de Château-Rouge à Paris et au quartier Matonge à Bruxelles.

Malgré sa popularité, la Sape a de nombreux détracteurs. Ainsi des voix s’élèvent contre le mode de vie opulent des Sapeurs qui cultivent peu d’égard pour les « gens du pays » en prise avec la corruption politique, l’analphabétisme, le chômage ou les antagonismes tribaux. Le Sapeur se décrit en effet comme un Dandy retiré du monde social et politique.

 

Si le Sapeur ne s’embarrasse a priori d’aucune conscience politique, on ne saurait pour autant affranchir ce mouvement dans sa globalité d’une interprétation socio-culturelle : l’Histoire postcoloniale y laisse aussi ses traces. Mobutu, roi du Zaïre (actuelle R.D.C.), a imposé dès 1972 dans le cadre du mouvement de la Zaïrianisation « l'abacost »  qui devait affranchir le peuple zaïrois de la culture coloniale et permettre le retour à une « authenticité africaine ». C’est ainsi  que parfois, les sapeurs kinois contemporains pratiquent une Sape japonisante, faisant appel à des créateurs (Issey Miyake, Hanae Mori, Kenzo Takada, Yohji Yamamoto etc), en rupture avec la référence haute-couture européenne des Brazzavillois.

 

Sapeur, Boucantier ou Jet-setteur ?

Parler de la Sape conduit nécessairement à convoquer les deux figures rivales du Sapeur : le Boucantier et le Faroteur. Ainsi, le Congo et la Côte d’Ivoire se disputent le prestige d’un titre: être la patrie africaine des « modeurs-ambianceurs ou Jet-setteurs».

Les Jet-Setteurs se rassemblent autour des principes qui structurent la Sape (l’exigence du style), mais en repoussent l’indécence : le cigare est obligatoire, alcool et champagne doivent couler à flots, et les chaussures doivent impérativement « claquer » : c’est ainsi que se définit le Boucantier, l’alter ego ivoirien du Sapeur congolais. Le Boucantier, dandy extravagant ou métrosexuel africain, multiplie les signes de visibilité: chevelure peroxydée surmontée d’une crête, accumulation de bijoux, montres et piercings, couleurs très vives et monogrammes apparents (Louis Vuitton, Gucci, Yves Saint Laurent Dolce & Gabbana, etc), sont les atouts nécessaires pour « faire son boucan ou le  farot». À Abidjan, les Boucantiers de la Jet-Set multiplient les performances, et diffusent le concept de « Travaillement ». Pendant ce temps, les congolaise pratiquent le « Mabanga ».

 

Sapeur ou lutteur ?

 

Dès l’apparition de la Sape, dans les années 1960, la jeunesse congolaise surnomme cette pratique « la lutte » - évoquant une initiation difficile. Dans les années 1970, des « lutteurs » émigrent à Paris, vitrine de la mode, vivant souvent en clandestins. Revenant de temps en temps au Congo, ils y devenaient… des « Parisiens » ou comme le dit le chanteur Rapha Bounzeki, des « Parisiens refoulés » (chanson qui décrit un sans-papiers en lutte pour connaître la réussite). Ces hommes idéalisent l’image du Sapeur qu’ils admirent dans les défilés, les clips vidéos, ou plus récemment dans les films documentaires consacrés à la Sape : La Sapologie I et II, Les archives des allures...

 

Le goût de la parade pousse les Sapeurs à édifier un monde de totems et de masques. Les Sapeurs portent des noms d’emprunt (Le Bachelor, Niarkos…) et s’autoproclament « Archevêque», « Playboy-gentleman », « Grand commandeur » ou « Ministre » du Royaume de la Sape. Tout cela ressemble à un jeu d’enfants macabre car « l’allureux » africain lutte aussi pour sa survie. Qu’ils soient Sapeurs ou Boucantiers, c’est à cause des régimes instables (dont des coups d’état ou guerres civiles) dans leurs pays que ces hommes sont arrivés en Europe. Une fois en occident, par instinct de survie ou de résistance, le Sapeur met le masque qui cachera la dure réalité de l’immigration. Une addiction salutaire qui conjure un afro-pessimisme chronique.

 

Quelque soit la lecture que l’on propose des phénomènes socio-culturels de la Sape au Mabanga, le but c’est d’être visible et de « faire du boucan » : être vu et entendu, sans doute pour ne pas être oublié. C’est aussi une manière à la fois créative et fantaisiste de s’émanciper d’une condition prosaïque, celle de l’immigration et « l’économie de l’immigré » : ouvriers de chantiers, agents d’entretien… Des métiers de service qui ramènent nécessairement à une servilité qu’on veut gommer – ou adoucir.

 

La Sape et ses pratiques dérivées sont des moyens de reprendre le contrôle sur un corps voué aux travaux les plus pénibles. En cela, on peut saisir les Sapeurs comme desrusés ou des fous du roi. Dans la tradition orale africaine et des diasporas africaines, les contes fondateurs font intervenir le personnage du lièvre rusé, qui parvient à duper les animaux plus puissants. Ce qui est montré vise surtout à brouiller les pistes, par stratégie maronne en quelque sorte. Dès lors, il s’agirait de dépasser la lecture du mouvement de la Sape comme le symptôme d’une pathologie héritée de l’Histoire pour y voir un comportement culturel propre aux peuples noirs dans les situations de domination : le singe a l’air d’imiter, mais par une ruse subversive, il se réapproprie le monde et lui donne son propre souffle/sens.

 

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Petit lexique :

 

- S.A.P.E : Société des ambianceurs et des personnes élégantes.

- Sapeur: personne qui pratique la sape

- Sapologie ou Sapelogie: mouvement culturel des praticants de la sape. L'élégance au quotidien et à outrance

- Farot ou farotteur: personne qui fait le farot, faire le malin, le rusé.

- S'envoler: prendre son envol, ascension sociale ou réussir dans la vie.

- Boucantier: Celui qui fait du boucan à outrance, qui fait parler de lui.

- Travailler ou travaillement: Consiste à distribuer de l'argent en public pour prouver sa richesse.

- Coupé-décalé: Le "coupé-décalé" serait une référence à un village du nom d'Akoupé dans lequel habitent les membres du groupe ethnique attié en Côte d'Ivoire. Ce qui était au départ une caricature de las danse des attié s'est transformé en une véritable danse et phénomène de mode. En nouchi, l'argot ivoirien, les termes "couper" signifie tricher, voler ou arnaquer et « décaler », partir ou s'enfuir.

- Mabanga: Name dropping ou dédicace de noms, consiste à payer un artiste renommé afin qu'il cite le nom du commanditaire dans une chanson lors de concerts.

- Lutteur: immigré africain en Europe qui lutte pour la réussite, membre d'une mouvance de sape, de boucantier et pratiquant le farot.

- Abacost: « à bas le costume », veston d'homme en RDC, doctrine vestimentaire qui visait à affranchir le peuple zaïrois de la culture coloniale en interdisant le port du costume et de la cravate.

- Jet-set: Ensemble de personnes appartenant à la haute société et se déplaçant en avion.

- Allureux : élégant, qui a de l'allure (spécialement dans sa tenue vestimentaire).

- Jetsetteur: fêtard qui en une soirée montre qu'il vit avec de gros moyens financiers selon son attitude en boîte.

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Sources: wikipédia, la-plume-francophone, AFP

Simon Mocong pour MiA-Culture

 

 










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