Dans société
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À propos de l’interpellation déposée le 4 octobre 2011 au Grand Conseil vaudois par François Brélaz et Claude-Alain Voiblet, députés UDC, afin d’interdire la projection du film Vol spécial dans les écoles vaudoises.
La nouvelle est tombée vendredi soir : les services de la conseillère d’État en charge de l’instruction, Anne-Catherine Lyon, ont fait passer discrètement la consigne aux directeurs des établissements scolaires du canton de ne plus montrer Vol Spécial à leurs élèves. C’est une enseignante vaudoise qui nous a transmis l’information, très vite confirmée par l’annonce d’une première annulation de projection scolaire. Le canton de Genève ne semble pas en reste, car la même rumeur a commencé de circuler parmi le corps enseignant.
Comment en est-on arrivé là et comment la socialiste Madame Lyon a-t-elle pu prendre soudainement une décision aussi grave ? Est-ce le contexte électoral qui la fait s’incliner devant la pression d’un parti populiste et sa motion de censure[1] d’un autre âge ?
Peut-être a-t-elle été convaincue par la campagne d’attaques ad hominem, qui visent à salir des individus, à réactiver le spectre du criminel étranger, une campagne visiblement destinée à occulter toute discussion de fond sur les renvois forcés de sans-papiers. Cela a commencé par l’article[2] de Jean-Claude Péclet, paru le 2 octobre en première page du Matin Dimanche sous le titre « Un trafiquant relance le débat sur Vol Spécial ».
Cet article mettait en lumière le passé criminel d’un détenu, passé pour lequel il a déjà payé sa dette à la société. C’est une personne qui fait une apparition furtive dans le film, se contentant d’accepter docilement son expulsion par vol spécial. Pourtant le journaliste, au mépris de la loi sur la protection des données personnelles, s’autorise à divulguer son patronyme en titrant que c’est un « héros » du film. De manière clairement diffamatoire, il jette aussi l’opprobre sur un père qui aurait simulé le déchirement devant la séparation avec ses proches car « un familier du cas relève que sa famille était sans nouvelles de lui depuis deux ans. »
Devant l’inanité de ses accusations, Monsieur Péclet s’est vu dans l’obligation de présenter ses excuses. Il l’a fait de manière discrète sur son blog[3], avant de partir en vacances. Le TJ du 19h30, qui a relayé ces calomnies sans vérifier les sources, s’est vu contraint de présenter un rectificatif[4] deux jours plus tard. Un rectificatif qu’Ariane Dayer, rédactrice en chef du Matin Dimanche, n’a pas jugé nécessaire, estimant sans doute que l’impact destructeur que cet article a eu sur un père et un mari ne méritait pas réparation.
Le même dimanche, mon téléphone sonne le matin à mon domicile privé. Au bout du fil une voix autoritaire veut me « remonter les bretelles ». C’est François Brélaz, buraliste à la retraite et député vaudois UDC que je ne connais que de nom, qui vient de lire l’article de Monsieur Péclet. Il se dit scandalisé par les révélations, se demande comment j’ai pu obtenir de l’argent de l’État pour faire un tel film de « propagande gauchiste ». Il se dit surtout très inquiet que l’on montre Vol Spécial, un « tissu de mensonges », dans le cadre de projections scolaires.
Un peu étonné par la virulence de ses propos, j’engage la conversation à voix basse pour ne pas réveiller mes enfants. Je lui explique que les rencontres qui suivent les projections dans les cinémas sont modérées par un enseignant sur scène et, dans la mesure du possible, accompagnées d’autres intervenants. C’est ainsi que le directeur de la prison de Frambois, un représentant du Service vaudois de la population ou un philosophe ont déjà participé aux débats. Le conseiller d’État Philippe Leuba ou la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga participeront d’ailleurs avec moi prochainement à des rencontres avec les élèves.
Monsieur Brélaz réitère haut et fort ses accusations et parle même de « manipulation de notre jeunesse». Je lui rétorque qu’un dossier pédagogique[5] est fourni aux enseignants pour préparer en amont la projection et pour poursuivre le débat au sein des classes. Ce document a été établi par E-media.ch[6], l'unité "Médias et TIC" du secrétariat général de la Conférence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin. Ce portail romand d’éducation aux médias propose un large choix de film et des supports didactiques aux enseignants.
A la recherche de représentants politiques, je lui propose de m’accompagner pour animer une prochaine discussion. « J’veux pas me faire piéger ! » s’exclame-t-il sur la défensive. J’argumente qu’au contraire ces rencontres sont riches en échanges d’idées et de points de vue. Les étudiants posent de nombreuses questions sur la question de l’asile, des 150'000 sans-papiers qui vivent et qui travaillent en Suisse, sur le respect de droits humains et des Conventions de Genève.
Je me rends compte que Monsieur Brélaz ne semble pas connaître l’existence des Conventions de Genève[7] qui régissent la protection des personnes persécutées dans le monde. Je lui rappelle que c’est parce que la Suisse a signé cette convention que nous avons le devoir d’accueillir des requérants d’asile sur notre territoire. « Faut nous sortir de ce truc-là ! » a-t-il conclu, me donnant peut-être en primeur l’une des prochaines initiatives de son parti.
Le député vaudois Claude-Alain Voiblet, secrétaire général d’UDC Vaud, a de son côté appelé l’association Roadmovie.ch[8] en charge d’organiser les projections scolaires. Insistant, ce ténor politique a voulu savoir quel était le « lobby » qui avait pu infiltrer les établissements scolaires vaudois. Une fois de plus, son responsable lui a expliqué que c’est à la demande des enseignants que Vol Spécial est proposé aux étudiants exclusivement dans des salles de cinéma. Le tarif réduit est de 8 à 10 francs par élève. Ma prestation est facturée à 300 francs, une somme systématiquement reversée à des associations caritatives.
Il a également été proposé à Monsieur Voiblet, comme à n’importe quel représentant politique, de participer à l’une des projections scolaires. Une demande qui est restée à ce jour sans réponse.
J’ai rencontré le président de la section vaudoise de l’UDC, Fabrice Moscheni, lors d’un débat au sujet des sans papiers[9] dans le Journal de 8 Heures de la Première le 26 septembre dernier. Au cours d’un dialogue de sourds, j’ai abordé la volonté de son parti d’imposer aux enseignants la dénonciation des enfants sans-papiers scolarisés dans leur classe. Le député Oskar Freysinger, professeur au gymnase de Sion, n’avait pas caché qu’il ferait partie des premiers délateurs.
Dommage que Monsieur Moscheni ait la mémoire si courte. Italien d’origine, il est comme moi un fils de saisonniers. Nos parents ont fait partie de cette main d’œuvre bon marché et corvéable à merci qu’on a été chercher dans le sud de l’Europe au début des années soixante pour répondre à l’appétit des « Trente Glorieuses ». Par dizaine de milliers, ces ouvriers entassés dans des baraquements insalubres ont construit nos routes, nos hôpitaux, nos barrages et nos écoles. Titulaires du permis de séjour A qui les autorisaient à travailler seulement neuf mois par année, ils devaient retourner chez eux les trois mois restant. Et à chaque retour en Suisse, ces hommes et femmes devaient subir l’humiliation d’un nouveau contrôle sanitaire, parfois à torse nu sur les quais de gare.
Une autre particularité de cette forme d’esclavage moderne était l’interdiction de tout regroupement familial. Ces saisonniers ne pouvaient pas être accompagné par leurs enfants qui devaient rester au pays. Comme mes parents, de nombreux couples les ont malgré tout fait venir clandestinement. Je fais partie de ceux qu’on appelle « les enfants du placard » car nous restions caché toute la journée dans de minuscules appartements. Ma sœur et moi avions la consigne de nous glisser sous le lit dès qu’on sonnait à la porte.
Monsieur Moscheni a eu la chance de naître en 1967 à Sainte Croix, une ville ouvrière solidaire. Il ne doit pas se rappeler des initiatives xénophobes Schwarzenbach qui visaient dès 1968 à expulser nos parents comme des malpropres. On parlait déjà à cette époque de « stopper l’immigration massive » en souhaitant l’expulsion de 300'000 étrangers établis légalement en Suisse. Il n’a pas non plus subi les insultes dans la rue et les crachats dans la cour d’école.
J’ai demandé à Monsieur Moscheni ce qu’il dirait à son fils si celui-ci lui apprenait qu’un policier a emmené son meilleur ami parce qu’il était sans-papiers. Il m’a sèchement répondu : « Je lui expliquerai que la loi est faite pour être respectée ».
Heureusement qu’il existe des politiciens soucieux de faire respecter en premier lieu la dignité humaine, la protection de l’enfance et le droit à l’éducation telle qu’ils sont prévus dans notre Constitution. Le 26 octobre 1986, le conseiller d'État genevois démocrate chrétien Dominique Föllmi accompagnait une petite fille de réfugiés turcs à l'école[10]. Ce geste symbolique aura pour conséquence une loi ouvrant l'école aux enfants en situation irrégulière. Oscar Tosato, italien de la deuxième génération et Municipal de la Ville de Lausanne en charge de l’éducation a proposé[11] en février 2010 l’apprentissage aux adolescents sans-papiers dans l’administration communale.
J’avais proposé à Monsieur Moscheni de venir tenir avec moi à un débat à l’issue des projections scolaires, une proposition à laquelle il n’a pas donné suite.
Si je mets une telle énergie à défendre les projections de Vol Spécial, c’est que l’expérience de La Forteresse m’a convaincu que je devais donner la priorité aux rencontres avec les futurs citoyens. J’ai en effet été très inquiet de constater que, pour une majorité d’adolescents, le terme « requérant d’asile » était synonyme de délinquant et l’ « asile » une forme d’abus social.
Les projections scolaires actuelles sont passionnantes. Elles sont un outil complémentaire pour l’information et l’analyse critique au civisme et à la vie citoyenne. A la fin d’une projection de Vol Spécial pour l’école EGC Jean Piaget de Genève, trois élèves sans-papiers se sont effondrés en larmes. Grâce aux paroles bienveillantes de leurs camarades et de leurs professeurs, une lueur d’espoir devant un futur possible dans notre pays est revenue timidement dans leurs yeux.
Dans son livre Un juif pour l’exemple, Jacques Chessex dresse le portrait impitoyable d’une frange de la population de Payerne acquise aux idéaux nationaux-socialistes pendant la seconde guerre mondiale. Ce sont des temps sombres, écrit-il, où « un mal rôde. Un lourd poison s'insinue. » Ce livre résonne comme un avertissement. Car, au-delà de sa personne, Arthur Bloch devient un symbole, celui du débouté de l’asile que l’on expulse manu militari, de l’enfant sans-papiers qui ne veut plus retourner à l’école de peur d’être dénoncé, de cette mère africaine obligée de dormir dans la forêt de Crissier avec son enfant pour échapper à une expulsion forcée (voir ci-dessous). Le symbole de tous ceux qui, en raison du seul fait de ne pas avoir de statut légal en Suisse, se voient dénier toute humanité.
Fernand Melgar, le 10 octobre 2011
Menacées d’expulsion, Lenica et sa fille Emylee âgée de 6 mois se sont réfugiées dans la forêt de Crissier pour échapper aux policiers vaudois qui devaient les expulser.
Le Service de la population du canton de Vaud avait clairement annoncé la couleur : des policiers viendraient embarquer Lenica, une ressortissante de Guinée-Bissau et sa fille née à Lausanne le 26 mars dernier, au centre EVAM de Crissier où elles résidaient. Cette jeune mère avait fui le Portugal où elle faisait ses études universitaires. Le père de sa fille l’avait menacée et, enceinte, Lenica a quitté précipitamment le Portugal pour se réfugier en Suisse. En vertu des accords de Dublin, nos autorités ont décidé de ne pas entrer en matière sur sa demande d’asile et ont décidé de la renvoyer au Portugal. Sa fille Emylee, qui a déjà subi deux hospitalisations depuis sa naissance dont une en soins intensifs, a risqué sa vie pendant cette nuit froide en forêt. Elle souffre aujourd’hui de choc hypodermique, mais ses jours ne sont plus en danger.
[1] http://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/gc/fichiers_pdf/11_INT_550_Dépôt.pdf
[2] http://www.lematin.ch/actu/suisse/un-trafiquant-relance-le-debat-sur-«vol-special»
[3] http://peclet.wordpress.com/2011/10/03/les-turbulences-autour-de-vol-special-2/
[4] http://www.tsr.ch/video/info/journal-19h30/3482136-19-30-le-journal.html
[5] http://www.e-media.ch/dyn/bin/1108-10711-1-vol_special.pdf
[6] http://www.e-media.ch/dyn/1012.htm
[7] http://www.icrc.org/fre/war-and-law/treaties-customary-law/geneva-conventions/index.jsp
[8] http://www.roadmovie.ch/Tournee_f.html
[9] http://www.rsr.ch/#/la-1ere/programmes/le-journal-de-8h/?date=26-09-2011
[10] http://www.tsr.ch/video/info/couleurs-locales/1717329-en-1986-le-conseiller-d-etat-genevois-dominique-follmi-lancait-le-debat-sur-la-scolarisation-des-sans-papiers.html?date=2011-09-30
[11] http://www.lecourrier.ch/lausanne_fait_un_pas_vers_l_illegalite_pour_montrer_que_la_legislation_ne_joue_pas