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Avec sa « Vénus Noire » Abdellatif Kechiche dénonce le climat actuel qui règne en Europe.
Présenté en Sélection officielle à la Mostra de Venise,
"Vénus noire" n’a pas été récompensé par Quentin Tarantino. Malmené
en conférence de presse, Abdellatif Kechiche arrive néanmoins très posé aux
interviews. Prenant le temps de la réflexion, s’exprimant lentement, il
déconcerte et impressionne
Comment avez-vous découvert cette histoire ?
J’avais rencontré ce personnage dans différents récits, mais je
n’avais pas approfondi véritablement son histoire. J’ai appris en l’an 2000 que
l’Afrique du Sud avait demandé la restitution des restes du corps de Saartjie
Baartman et qu’il y a eu un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est à
ce moment-là que je me suis vraiment intéressé au sujet, que je me suis
documenté. J’ai lu tout ce qui avait été écrit sur elle, et j’ai été
littéralement bouleversé par son vécu. J’ai trouvé cette histoire à la fois
extraordinaire, pathétique et dramatique. Mais en plus de ce que j’ai lu, ce
qui m’a le plus saisi, c’est d’avoir vu le moulage de son corps, vu ce visage
très vivant. Il y a une expression à la fois de douleur et d’abnégation.
J’avais l’impression d’une sorte de spectre, comme un fantôme très vivant qui
avait besoin d’exprimer quelque chose. J’avais l’impression que c’était une
sorte de devoir moral de raconter cette histoire, cette souffrance.
Vous filmez énormément les visages en gros plans. Et pas seulement
celui de Saartjie…
Je crois que le visage est plus expressif que tout ce qu’on peut
montrer. J’avais envie de montrer non seulement le personnage de Saartjie
Baartman, mais aussi notre regard sur elle, mon regard sur ceux qui la
regardent et son regard à elle sur les regards. Ce qui m’intéressait le plus,
je crois, c’est de montrer l’infinitude des regards qui se posent les uns sur
les autres. C’est un film sur le regard, le visage, sur l’expression. Le regard
est le principal décor du film.
Dans vos films précédents, on était physiquement aux côtés des
personnages, ici on se sent plus spectateur…
Ses cinq années en Europe, elle les a vécues sur scène en jouant
ce spectacle. Elle passait plus de 12 heures par jour, 7 jours sur 7, à sortir
de cette cage. Elle ne faisait que cela. Une fois que le spectacle était
terminé, elle était épuisée. Elle rentrait, elle buvait, parce qu’elle était
devenue alcoolique par la force des choses, et elle dormait. A part
l’impression qu’elle pouvait avoir et la souffrance qu’elle ressentait, je ne
voulais pas lui créer une vie romanesque. D’abord, parce que je n’ai pas de
preuve concrète d’une autre vie possible que la souffrance, mais aussi parce
que j’ai trouvé intéressant de la laisser mystérieuse. Pour que nous nous
interrogions sur ce qu’elle a ressenti, sur ce qu’elle a vécu, sur sa
perception des choses. En s’interrogeant sur elle, on est obligé de
s’interroger sur nous; on doit se mettre à sa place pour comprendre.
Pourquoi était-il important pour vous de raconter cette histoire,
aujourd’hui ?
C’est une histoire très contemporaine; l’exhibition de Saartjie a duré jusqu’à la fin du XXe siècle ! Et le dénouement n’a eu lieu qu’avec son enterrement en 2002. On a beaucoup parlé d’elle, et on parle encore beaucoup d’elle en Afrique du Sud; c’est un symbole très fort. Mais cette histoire est aussi contemporaine par sa dimension politique. Le racisme, le sexisme, le mépris de l’autre sont des choses très présentes dans nos sociétés actuelles. Nous assistons à une décennie en Europe où réapparaissent des discours effrayants, plus insidieux encore que les discours de l’époque. Parce qu’aujourd’hui, on sait à quoi ont mené ces discours dans le passé. Face à cette problématique de responsables politiques qui lâchent délibérément, de façon très réfléchie, des petites phrases qui rappellent un temps révolu, il est nécessaire de rappeler, qu’il n’y a pas très longtemps, il y a eu des théories pseudo-scientifiques qui ont permis la montée du fascisme en Europe. Que ces mots puissent être encore prononcés, encouragés en Europe, c’est d’une grande gravité. Je pense que c’est une façon, il y en a de multiples, de réagir face à la montée de ces discours racistes, xénophobes et sexistes.
On vous qualifie souvent de réalisateur d’origine tunisienne. Cela vous agace-t-il ?
C’est toujours douloureux de sentir qu’on pense à vous comme un
réalisateur d’une origine, d’une catégorie sociale, d’une appartenance à une
autre nationalité Je n’aime pas que l’on puisse être réduit en tant que
réalisateur à une nationalité. Je me situe avant tout comme réalisateur. J’ai
une vision, quelque chose que je porte en moi et que j’ai envie de dire à
travers un récit et des images. Je porte avant tout, je l’espère, un regard sur
l’humanité. A travers mes films, à travers ce que je raconte, je cherche à
comprendre ce que nous sommes.
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Paris, 1817, enceinte de l'Académie Royale de Médecine. « Je n'ai
jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Face au moulage
du corps de Saartjie Baartman, l'anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Un
parterre de distingués collègues applaudit la démonstration. Sept ans plus tôt,
Saartjie, quittait l'Afrique du Sud avec son maitre, Caezar, et livrait son
corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Femme libre et
entravée, elle était l'icône des bas-fonds, la « Vénus Hottentote » promise au
mirage d'une ascension dorée.
Figure tragique que celle de Saatjie Baartman (1770 env.-1815) Née
dans la région du Cap, Cette Hottenttote sera à Londres, puis Paris la vedette
d’un spectacle de foire nauséabond où elle joue la « négresse
sauvage » pour flatter les plus bas insticts d’européens en mal de
sensations exotiques. Aux côtés de traditionnelles femmes à barbe et nains,
elle impressionne finalement moins parce qu’elle est noire que par la taille
démesurée de ses fesses.
Profitant de ses attributs, son maître, un afrikaaner sans
scrupules prompt à jurer qu’il ne l’exploite pas sans voir qu’il la détruit
physiquement, n’hésite d’ailleurs pas à inviter les spectateurs à toucher la
« bête ». Décédée après avoir exercée le plus vieux métier du monde,
Baartman finira par être disséquée par un zoologiste qui, fasciné par ses
organes génitaux protubérants, conclura que les Hottentotes ressemblent
indubitablement à des singes !
Depuis 2002, les restes de celle qui fut baptisée la Vénus
hottentote reposent en Afrique du Sud, sur sa terre natale. Jusqu’au milieu des
années 1970, ils étaient exposés à Paris, au Musée de l’Homme…
Au moment où certaines sociétés semblent avoir une peur viscérale
de l’autre au point de voter des lois rappelant les pires heures de l’Histoire,
voilà un film essentiel, un électrochoc cinématographique qui ne laissera
personne indifférent.
Réalisateur : Abdellatif Kechiche
Acteurs : Olivier Gourmet, François
Marthouret, Elina Löwensohn, Yahima Torres, André Jacobs, Michel Gionti
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Vous pouvez encore voir ce film au:
City Club de Pully
36, av de lavaux
1009 Pully
Tél: 0217286969
SCM pour MIA-culture