Dans société
Partagez cet article sur Facebook !
Partagez cet article sur Twitter !
À seulement 24 ans, Mahogany lançait en janvier 2006 le Magazine en ligne Caoba, qui s’adresse principalement aux femmes afrodescendantes de l’Amérique Latine, mais également apprécié par les équato-guinéennes (Rep. Guinea Ecuatorial), le seul pays de l’Afrique noire où l’on parle le castillan. Dans l’entrevue exclusive qui suit, elle parle de cette aventure éditoriale, des noirs du Panama, de ses sentiments en tant qu’Afrodescendante, de l’Afrique et de … Barack Obama entre autres.
http://es.caoba.org/index.html
et sa version blog
http://bellezaymodaafro.blogspot.com/
Le slogan du magazine est : « Color con clase » (« couleur avec classe ») une déclinaison poétique de « Black is beautiful »… Le magazine Caoba annonce clairement par là son engagement dans la lutte contre les stéréotypes dont sont victimes les femmes noires en amérique latine. Caoba se donne pour mission de révéler un meilleur visage de la femme noire en 5 étapes : Chic et belle – Culture Club – style de vie – afro-latinos dans le monde - Portail masculin.
Mahogany, peux-tu tout d’abord, nous présenter le magazine Caoba que tu administres?
Caoba est un magazine en ligne qui s'adresse principalement à la communauté afrolatine. La revue a une touche très féminine, car au départ, elle s’adressait plus aux femmes, avec des articles sur la beauté, le maquillage de la peau noire de même que les soins du cheveu afro. Cependant, nous avons un public masculin important, et c'est la raison pour laquelle le magazine compte désormais une section spéciale pour les hommes.
De plus dans la rubrique Culture Club, on retrouve des articles sur l’art, la musique, l’histoire et les expressions de la communauté afrodescendante de l’Amérique Latine, et des africains. Les autres segments très prisés sont Estilo de Vida qui aborde la santé et présente également des articles sur la motivation et le dépassement personnel et Mundo Actual avec des news et des actualités de la communauté, ainsi que des conseils pour obtenir un emploi et sur les finances.
- Quelle fut la raison principale qui t'a motivé à te lancer dans cette aventure extraordinaire?
Ce qui m'a motivé à créer Revista Caoba c'était l'envie de fournir à la communauté afrolatine un média dans lequel elle pouvait s’identifier. Les revues conventionnelles n’offrent presque jamais des conseils de beauté ou de soin du cheveu aux femmes noires, et les rares magazines qui le font sont soit en anglais, soit en français et même en portugais, mais il n y avait rien en espagnol. J’ai donc décidé de poser la première pierre et de me lancer, comme tu le dis si bien, dans une aventure incroyable.
- Et quelles sont les difficultés que tu dois affronter pour réaliser ce travail si important?
Eh bien, l’une des principales difficultés c'est l’endroit où je vis, puisque je réside en Suisse alors que mon marché se trouve beaucoup plus en Amérique Latine. Au moins, en Espagne, je serais plus dans une ambiance propice pour promouvoir la revue. Cependant, avec beaucoup d’efforts et d’engagement, j’ai réussi à faire que Caoba ait une bonne diffusion, et c’est ce qui me réjouit. J'ai également besoin de plus de soutiens de rédacteurs ou de collaborateurs qui enverraient des articles à publier. J'ai pratiquement écrit tous les articles qui se trouvent sur Caoba.
- Parlons à présent des Afro panaméens. Quelles sont les origines des noirs qui vivent aujourd'hui au Panama, et quelles sont tes propres origines?
‘‘À Panama, on retrouve deux groupes principaux de Noirs : Les descendants des africains qui sont arrivés à l’époque de la colonisation d’une part, et ceux qui sont arrivés au début du 20ème siècle pour participer à la construction du Canal de Panama’’. Ce dernier groupe est formé de personnes originaires des Antilles, de pays comme la Jamaïque, La Barbade et Trinité et Tobago. Les descendants des afro-antillais portent en général des noms anglais en plus de parler cette langue avec aisance.
Personnellement, j’appartiens aux deux groupes, puisque mon grand-père maternel est arrivé ici avec ses parents de la Jamaïque pour travailler sur le Canal. Son père a travaillé dans la construction du Canal et il a suivi ses traces. Le père de ma grand-mère venait de la Barbade et il a également travaillé sur le Canal. Mes grands parents paternels appartiennent au groupe d'afro panaméens descendants de la période coloniale.
- En Afrique, on connaît l'ancien footballeur Dély Valdés qui est Panaméen. Quels sont les leaders ou les figures importantes actuelles et passées qui représentent la communauté noire au Panama?
Je peux dire avec beaucoup de fierté qu'au Panama, la communauté afro occupe une place importante dans la société et est très intégrée. Le mois de Mai est d'ailleurs le “Mois de l'Ethnie Noire” au Panama. Il y a un grand nombre de personnalités qui se distinguent. Je mentionnerai quelques unes comme Graciela Dixon, qui fut la première femme noire de l'histoire du Panama à occuper la présidence de la Cours Suprême de Justice. Récemment, Irving Saladino, originaire de la province de Colón où la majorité des habitants sont noirs a donné au Panama sa toute première médaille d'or aux Jeux Olympiques. Le chanteur connu sous le nom de “El General” est l’un des Panaméens les plus célèbres au niveau International et l’un des précurseurs du reggae en espagnol. La Docteure Marion Clarke de Martin fut la première femme et afro panaméenne à devenir Doyenne de la Faculté de Médecine de l'Université de Panama.
- S'ils existent, comment se manifestent le racisme et la discrimination contre les afro descendants au Panama ?
Le racisme est présent partout et le Panama n’en échappe pas. Cependant, il y a de la tolérance et du respect. Jusqu’à il y a cinq ans, il existait encore ce qu’on appelait le “droit d’admission” par lequel les bars et restaurants pouvaient choisir qui pouvait entrer dans leur locaux ou non. J’ai personnellement été victime de ce “droit” et on ne m’a pas laissé entrer une fois dans une discothèque seulement parce que je suis noire. Grâce à Dieu, ce n’est plus pareil depuis l'approbation d'une loi pour éliminer cette pratique. Il est également clair qu'une grande partie de la communauté afro connaît des limites économiques, ce qui rend difficile la possibilité pour tous d’avoir une bonne éducation, ce qui amoindri les opportunités d’emploi de cette population là.
Cependant, avec une bonne éducation et si l’on sait se projeter avec assurance, la couleur ne doit pas constituer un obstacle. Je pense qu’au Panama, il existe une atmosphère très cordiale entre les différents groupes ethniques. Et même, c’est seulement quand j’ai déménagé pour l’Europe que j’ai entendu parler des groupes xénophobes et de la manière dont ils peuvent attaquer et même tuer des gens parce qu’ils sont d’une certaine race. C’est quelque chose qui n’arriverait jamais dans mon pays.
- Peux-tu partager un fait historique ou culturel spécifique aux afrodescendants panaméens?
Selon moi, l’abolition de l’esclavage, tant au Panama que dans le reste du continent a constitué la plus grande réussite pour les afrodescendants, puisque grâce à lutte de nos ancêtres pendant de nombreux siècles, aujourd’hui, nous n’avons plus de chaînes au cou et nous sommes des citoyens avec des droits.
- Existe-t-il un mouvement noir panaméen qui a des revendications politiques, sociales, économiques et culturelles pour les afrodescendants?
Oui, de nombreux collectifs qui travaillent pour une plus grande et une meilleure intégration des (afro) panaméens dans la société et pour mettre en relief nos contributions à l’histoire et à la fondation de la nation. Entre autres on peut citer le Centre d’Études Afropanaméennes ( Centro de Estudios Afro Panameños), la Commission Coordinatrice de l’Ethnie Noire du Panama ( Comisión Coordinadora de la Etnia Negra de Panamá), le Comité Panaméen contre le Racisme, la Société des des amis du Musée Afro Antillais du Panama (SAMAAP), la Pastorale Afro panaméenne, le Réseau des Femmes Afropanaméennes (Red de Mujeres Afropanameñas) le Réseau des Femmes Afrodescendantes ( Red de Mujeres Afrodescendientes - REMAP) et la Sauvegarde de la Jeunesse Afropanaméenne ( Rescate de Ia Juventud Afropanameña ).
- As-tu déjà visité un pays africain?
Oui, j’ai visité l’Afrique du Sud et la Tanzanie.
– En tant qu’afrodescendante, que penses-tu de ce continent, quels sont tes sentiments à son sujet?
Je pense que l’Afrique est un mystère pour beaucoup d’afrodescendants, et malheureusement, le peu d’information que nous recevons sur le continent parle de la famine, de la désolation, de la misère, des maladies et de la guerre. D’autre part, quand on étudie l’histoire à l’école, la partie africaine de la colonisation est totalement ignorée. On dit seulement que les africains étaient des esclaves, quelque chose de dur pour un enfant, car il est pour cela l’objet de moqueries constantes. La société grandit avec cette idée, comme si nous étions encore des esclaves, comme si nous n’étions pas égaux, et c’est un stigmate avec lequel nous luttons chaque jour.
Mais bon, maintenant que je vis en Europe, j’en sais un peu plus sur le continent et je sais qu’il est très riche culturellement, qu’il dispose de nombreuses ressources naturelles, mais qu’il reste encore soumis à une constante exploitation. Ce qui me fait vraiment mal, c’est de voir le manque d’unité, même dans un même pays. Je suis stupéfiée par les guerres civiles constantes, mais surtout par la dureté et la cruauté avec laquelle ils peuvent se battre entre eux. A part cela, comme en Amérique Latine, l’Afrique est victime de la corruption. Tous ses facteurs rendent difficile l’avancée vers un véritable développement, ce qui est dommage.
– L’image de misère, des guerres diffusées par les médias, principalement occidentaux n’influence-t-elle pas ton désir de te revendiquer afrodescendante, et pourquoi?
J’estime que cela est dû à mon éducation. J’ai lu et je me suis imprégnée sur le sujet, j’ai montré de l’intérêt et peu à peu, je prends connaissance de la vérité, et il y a beaucoup de choses dont on peut être fier. Mais il y a également beaucoup à faire.
– À quoi ressembleraient le monde Afro idéal pour Mahogany?
L’idéal serait que nous qui vivons de l’autre côté de la mer sachions d’où l’on vient et que ceux qui sont en Afrique sachent à quel endroit nous sommes. Que l’histoire de l’Afrique et de la période de l’esclavage soit largement incluse dans les textes scolaires pour que nous puissions savoir et comprendre ce qui s’est passé. J’aimerais que l’Afrique, un jour, fasse quelque chose pour nous autres qui sommes de l’autre côté et avons été vendus et arrachés de notre terre. Que notre mère Afrique nous embrasse, nous console et nous soutienne pour qu’on aille de l’avant.
Que nous soyons un peuple afro uni, mais également que nous le soyons en tant qu’êtres humains, de toutes les ethnies, races, croyances et langues.
– Pourquoi, à ton avis, les relations directes entre les Afrodescendants d’Amérique Latine et les Africains sont presque inexistantes ?
Je pense que la langue est une barrière, puisque l’Afrique est majoritairement francophone et il y existe des dizaines de langues et de dialectes supplémentaires. Et puis il est extrêmement cher de voyager d’Afrique en Amérique Latine et vice-versa. Il y a également le manque d’information. Je pense que l’africain moyen ne sait pas où nous nous situons géographiquement, et du côté des afro descendants, selon moi, l’information est tellement négative qu’ils perdent l’intérêt pour la concrétisation de cette relation.
– Quels sont les Leaders africains ou afrodescendants qui t’inspirent ?
J’admire beaucoup la présidente du Libéria Ellen Johnson Sirleaf, puisqu’elle est un exemple d’évolution pour toutes les femmes, autant africaines qu’afro descendantes. Nelson Mandela est un combattant infatigable qui a sacrifié une grande partie de sa vie pour un idéal. Cela est digne d’admiration alors qu’aujourd’hui la majorité des gens ne pensent qu’à eux. Barack Obama est un symbole d’espoir pour moi, du fait que les choses peuvent changer si nous y mettons de l’envie. Il est si rafraîchissant et démontre l’importance d’un couple et d’une famille unis.
As-tu un autre message que tu aimerais partager avec les lecteurs?
Qu’ils aient des rêves et des objectifs, et qu’ils se battent pour qu’ils se réalisent. Qu’ils aient la foi et l’espoir, et qu’ils ne prêtent pas tellement attention aux choses négatives. Rien dans cette vie n’est impossible si l’on croit en soi, en ce que l’on veut réaliser, tôt ou tard on y arrive. Je les encourage également à lire. La lecture est vitale pour ouvrir l’esprit. Qu’ils fassent des recherches pour connaître la vérité, car s’ils se contentent seulement de ce que disent les médias, ils vivront dans une bulle et non dans la réalité.
SCM pour mia-culture