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« Pour
sauver le climat, il faut sauver les forêts »
René Ngongo,
biologiste et prix Nobel « alternatif », nous parle de la
biodiversité de la forêt primaire congolaise, des dangers de la déforestation
et des moyens de lutter contre ce fléau.
Vous
venez de recevoir à Stockolm le prix Nobel « alternatif ». Quel effet
cette récompense a-t-elle eu sur votre lutte contre la déforestation ?
On m’écoute plus
qu’avant ! Je donne des conférences et des interviews, et on m’invite à
des débats. Le « Right Livehood Award », c’est une plate-forme
exceptionnelle pour attirer l’attention à l’échelle internationale et pour
expliquer au monde les enjeux de la déforestation, au Congo ou ailleurs.
L’intérêt
suscité à l’échelle internationale a-t-il déjà produit des effets concrets ?
Oui. Par exemple, les ambassadeurs des pays de l’UE au Congo
ont récemment participé à une excursion de deux jours pour se faire expliquer
le problème de la déforestation «sauvage» sur le terrain.
C’est une démarche importante, car en ce moment en Europe, les
choses sont
en train de bouger au niveau politique, en ce qui concerne la
protection des forêts primaires. Or il y a urgence: la déforestation, souvent
illégale, détruit chaque année chez nous 13 millions d’hectares de forêt primaire.
Qui sont
les responsables ?
Les premiers responsables, ce sont les grosses multinationales.
Seules quelques essences d’arbre les intéressent – l’Afromosia,
en particulier – mais pour y accéder, elles construisent des routes à travers
la forêt vierge. Ces routes facilitent également l’accès des petits paysans et
des bûcherons, qui pratiquent le brûlis pour agrandir leurs terres. Je précise
que l’Afromosia est protégé par la Convention de Washington (CITES).
A quoi
ressemble la forêt congolaise ?
Le bassin du Congo abrite la deuxième forêt primaire du monde
après la forêt amazonienne. Nous l’appelons le deuxième poumon de la planète.
La biodiversité y est exceptionnelle, car elle abrite d'innombrables variétés
et espèces qui n’existent nulle part ailleurs, depuis les okapis jusqu’aux
bonobos, une race de chimpanzé, en passant par des oiseaux introuvables
ailleurs.
Cette
biodiversité est-elle menacée par la déforestation ?
Oui, mais la flore et la faune ne sont pas les seules
concernées: la forêt fait vivre directement ou indirectement 40 des 65 millions
de Congolais. Bon nombre de mes concitoyens ne vont pas au supermarché faire
leurs courses: ils partent dans la forêt et reviennent avec des paniers pleins.
Ils y trouvent des champignons, des chenilles, du miel et pratiquent la chasse.
La forêt est aussi une gigantesque
Pharmacie: chez nous, on soigne beaucoup de maladies avec des
plantes médicinales, souvent bien plus efficaces que la médecine moderne.
Vous
parlez sans doute de groupes isolés, qui vivent dans la forêt, loin de toute civilisation
...
Pas du tout! Les citadins aussi sont très attachés à la forêt. Les
sept années de guerre civile ont totalement détruit les structures économiques
et sociales de notre pays.
Beaucoup d’entreprises ont mis la clé sous la porte, et le chômage
fait rage. Du coup, les gens sont contraints de trouver leur nourriture dans la
forêt. Sur les rares routes encore praticables, des camions transportant des
denrées alimentaires font la navette entre les forêts et les villes.
Les gens n’ont pas les moyens de s’offrir des marchandises importées.
La survie des villes dépend donc elle aussi de celle des forêts.
Dans vos
conférences, vous expliquez que la destruction des forêts primaires est non seulement
un désastre écologique, mais aussi une menace culturelle.
Pour les communautés villageoises, la forêt n’est pas seulement
une source de nourriture, elle fait partie intégrante de leurs traditions.
C’est là qu’ont lieu les rites initiatiques lors desquels les adolescents
accèdent au statut d’homme ou de femme adulte; c’est aussi là que sont enterrés
les ancêtres. La violation et la destruction de ces sites sacrés fait naître
des conflits entre la population
locale et les multinationales du bois.
Face à la
menace du réchauffement climatique, on parle beaucoup de l’importance des
forêts primaires pour le climat. Qu’en pensez-vous ?
Pour sauver le climat, il faut sauver les forêts. 20% des émissions
mondiales de gaz à effet de serre sont dues à la destruction du puits de carbone
que constituent les forêts. C’est plus que les émissions occasionnés par les transports
à l’échelle mondiale! Par ailleurs, la biodiversité de nos forêts pourrait
aider nos enfants à s’adapter aux changements climatiques, dont la progression
est fulgurante.
Personne ne sait de quelles plantes l’homme aura le plus besoin
lorsque le climat aura été complètement bouleversé. Quoi qu’il en soit, nous ne
sauverons les forêts que si nous unissons nos forces à l’échelle locale,
nationale
et internationale.
Que
faut-il faire concrètement ?
Nous devons trouver des solutions de remplacement à la
déforestation. Au Congo, beaucoup de gens cuisinent au charbon de bois: cela
aussi, c’est mauvais pour la forêt. Nous devons leur donner accès à
l’électricité. L’exploitation industrielle des forêts doit être mieux
surveillée. Il existe des tas de lois pour protéger la forêt, mais tant
qu’aucune instance ne contrôlera leur application, elles resteront sans effet.
Dans la province de l’Equateur, par exemple, qui est grande comme la France et
où les industriels du bois s’en donnent à coeur joie, le chef de
l’Administration des eaux et forêts n’a qu’un vélo pour se déplacer!
Comment voulez-vous qu’il vérifie si l’exploitation de la forêt
a lieu dans les règles ?
Quel rôle
les consommateurs suisses peuvent-ils avoir dans la protection des forêts primaires
?
Ils ont leur part de responsabilité. Lorsque vous achetez des
meubles, du parquet, des fenêtres ou d’autres produits en bois, assurez-vous
que ce bois a été coupé légalement et qu’il est issu d’une sylviculture
durable. Le label FSC le garantit, par exemple. Mais nous ne sommes pas encore en
mesure de le proposer au Congo. Et puis, il faudrait exiger des politiques
qu’ils interdisent l’importation de bois
coupé illégalement. Le Parlement européen débat d’ores et déjà
d’un projet de loi sur ce sujet.
Et pour
vous, la forêt, que représente-t-elle ?
J’aime son odeur caractéristique et ses bruits. Dans la forêt,
la nature obéit à ses propres lois, et la vie adopte des règles très
particulières. J’ai beaucoup d’admiration pour les pygmées et pour leur
capacité à vivre en parfaite
harmonie avec
la nature. La forêt est tout pour eux: jardin, pharmacie, église, espace de
vie. C’est leur exemple qui me donne l’énergie de me battre contre la
déforestation.
René Ngongo 48 ans, biologiste, est originaire de la République démocratique du Congo. Il a reçu le prix Nobel «alternatif» Right Livelihood AwarD 2009 pour son engagement de longue date en faveur des forêts tropicales et de l’équité sociale. Il a fondé l’Organisation Concertée des Ecologistes et Amis de la Nature OCEAN en 1996, et travaille aujourd’hui comme conseiller pour Greenpeace. René Ngongo vit à Kinshasa avec sa femme et ses quatre enfants.
Sources